
En 2017, la fondation Moi pour Toit fête ses 30 ans de lutte en faveur des enfants nécessiteux de Pereira en Colombie. Au début des années 90, papa Christian avait ouvert un foyer pour douze petites filles en danger d’exploitation sexuelle, âgées de 10 à 12 ans. Aujourd’hui, ce sont des mères de famille qui approchent de la quarantaine. En novembre prochain, un livre racontera leur histoire qui est celle de Moi pour Toit.
Vous pouvez déjà réserver votre exemplaire au prix de souscription de
20 francs (au lieu de 30 francs), à verser sur le CCP 19-720-6, Fondation Moi pour Toit, 1920 Martigny, mention «Livre».
LE PETIT CLOWN
La salle de spectacle du petit collège crépite sous les applaudissements chaleureux des spectateurs conquis. Le rideau tombe. Au milieu de la scène, Luz Francy dessine une humble et gracieuse révérence. Son cœur bat plus fort que les cloches de l’église.
«Tu as vu comme ils ont ri!» C’est elle qui, à mi-voix, adresse ces quelques mots à sa voisine de gauche, au moment où les deux rideaux se rejoignent. Ceux-ci se déchirent à nouveau sur des bravos et des vivats et le directeur entre en scène pour dire un petit mot de circonstance. Luz pose son regard sur l’homme qui parle. Elle boit ses paroles. En apparence, car son imagination vagabonde à la hauteur des étoiles. Depuis le temps qu’elle rêvait de brûler les planches.
De faire rire. «La photo!» Comme un éclair, celle-ci traverse son esprit. C’est la photo d’un clown. Son trésor. Son seul trésor. Les couleurs sont passées, le papier froissé, comme si le visage avait pris des rides. Mais c’est à lui qu’elle se confie quand elle a de la peine ou du chagrin. Compagnon de ses nuits d’encre, le clown lui a permis le rêve, lui a promis l’espoir. Elle a espéré. Elle a rêvé. Et maintenant… les gens ont ri. Elle est le clown.
Il naît au premier acte d’un mardi pluvieux, à l’heure où meurt la nuit. Il est aussi l’aîné d’une famille de treize enfants. Premier coup de théâtre. Son père ne l’aime pas. Il espérait un garçon. Est-ce pour cette raison que Luz utilise maintenant le pronom masculin dans le récit émouvant de sa douloureuse histoire? Pour le décor de ce premier acte, il faut imaginer les murs d’une cuisine sombre. Le pied d’une chaise cassée que l’on recevait sur le dos, la bretelle d’un vieux sac dorsal qui nous lacérait le visage, les coups de pied, les gifles et les humiliations.
Le texte lançait des projectiles de cris, d’insultes et de gémissements, de jurons et de pleurs. C’est là qu’il se fait les griffes, le petit clown. Une scène particulièrement violente avec son père a pour conséquence, vers la fin de ce premier acte, de lui faire perdre partiellement la vue. C’est à ce moment-là qu’il trouve son véritable personnage, le petit clown.
Elle avait lu, sous la fameuse photo, que les clowns, les vrais, ceux qui font rire, étaient très souvent des personnages tristes dans la vie de tous les jours. S’il suffisait de cela pour réussir, à coup sûr, elle deviendrait un clown célèbre et reconnu!
Les coups que lui avait donnés son père annonçaient le début d’un deuxième acte où le décor avait totalement changé. Le petit clown a fui le chapiteau familial. Il a appris à jongler avec les lois et les règles de l’enfant de la rue. Forain de l’infortune, il dort avec les étoiles et ses illusions perdues. Perdues, car le directeur du collège où elle étudiait, qui s’arrache les derniers cheveux, ne comprend pas, ne peut pas comprendre, ne s’explique pas, ne peut pas s’expliquer…
Un élève. Doué, sensible, artiste… Pardon… pour lui, c’était une élève. Douée, sensible, artiste. Alors, le petit clown triste et solitaire, dans un troisième acte qui est un acte de volonté, cherche une autre piste. Avec l’énergie que donne le désespoir, il part pour ailleurs. Pour celui qui n’a pas de chez-soi, ailleurs pourrait être chez lui… Un auteur anonyme le dirige sur Pereira. Un metteur en scène inconnu le pousse vers la fondation Moi pour Toit. Un deus ex machina lui offre un nouveau rôle. Son rôle. Celui de faire rire.
Depuis, sous le chapiteau de Moi pour Toit, un clown de 15 ans poursuit ses études et distille généreusement son humour et ses facéties, ses pirouettes et son amour sur ses compagnes qui l’aiment et qu’il aime.
Article paru dans la Gazette de Martigny du 30 mars 2017 à télécharger ici (pdf).
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